Vie publique

Suzanne Spiler : « Je vous tends le témoin de l’histoire et j’espère que vous l’accepterez »

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En témoignant au collège Racine, Suzanne Spiler a livré un bouleversant récit des conditions de survie d’une enfant juive durant l’Occupation.

La mine grave, les larmes parfois au bord des yeux, les 150 élèves de 3e réunis mercredi 28 mars dans le réfectoire du collège Racine, à Alès, ont écouté en silence le récit de l’enfance terrible de Suzanne Spiler. Malgré son âge, elle a retracé avec une redoutable précision, quelque 70 ans plus tard, cette période de l’Occupation qui a bouleversé son existence.

Invitée par Gilles Roumieux, professeur d’histoire du collège, Suzanne Spiler est intervenu dans le cadre de la semaine du “Vivre ensemble”. Cette matinée a aussi été ouverte à des élèves de 3e des collèges Daudet, Jean-Moulin et Diderot.

Avoir 10 ans en 1943

En 1943, Suzanne avait dix ans. Fille d’un tailleur, elle vivait avec sa sœur, son petit-frère et ses parents, venus se réfugier en France à la suite de la chasse aux juifs menée en Pologne par les nazis et leurs alliés.

Mais, hélas, la guerre a fini par rattraper la famille jusque dans le quartier de Montmartre, à Pris, où elle vivait. Et c’est avec une étoile jaune cousue sur la poitrine que la petite Suzanne a vu progressivement le pays s’enfoncer dans la guerre et la collaboration : « J’avais tellement honte de cette étoile que je ne voulais pas aller à l’école. C’est à la suite d’une dénonciation anonyme que la police est venue nous arrêter un matin » se souvient Suzanne, encore émue aux larmes.

Si elle et sa sœur ont réussi à s’échapper, leur maman et leur frère de six mois ont été happés par la haine antisémite pour périr dans le tristement célèbre camp d’Auschwitz-Birkenau.

Une enfance de souffrances

L’enfance de Suzanne n’a pas été épargnée par les souffrances. Envoyée avec sa sœur dans une ferme normande, les fillettes ont subi brimades, sous-nutrition, travaux harassants et violences qui ont coûté son œil droit à Suzanne et quelques mois de prison, après la Libération, à la fermière cruelle.

Un travail de mémoire

Ce terrible récit, Suzanne l’a tu pendant cinq longues décennies, hormis à sa famille : « Jusqu’à ce que j’écrive à Serge Klarsfeld pour lui demander des précisions sur la disparition de mon frère et de ma mère. Et c’est lui qui a souhaité que je raconte mon histoire. Finalement, ça m’a libérée de me rendre utile » a-t-elle ajouté. Un récit recueilli dans Les Grands entretiens, mémoires de la Shoa, puis dans un ouvrage construit patiemment en 2005 par les élèves de Gilles Roumieux, intitulé J’avais dix ans le 26 mars 1943.

En continuant encore aujourd’hui à travailler avec les classes sur ce précieux témoignage, Gilles Roumieux aborde, bien sûr, la Seconde Guerre mondiale, mais aussi et surtout plus généralement les risques que font courir les idées d’exclusion, de racisme, d’antisémitisme ou du rejet de l’autre.

Une lutte implacable contre l’oubli

Cette lutte implacable, Suzanne veut la mener autant que sa santé le lui permettra. « Nous ne sommes plus très nombreux à pouvoir encore témoigner de ce qu’a été la Shoah et ses conséquences. Mais vous, si vous le voulez bien, je vous tends le flambeau pour continuer à faire vivre la mémoire » a conclu Suzanne Spiler à l’issue de son terrible, mais captivant récit.

Les questions se sont ensuite enchaînées en présence, aussi, d’anciens élèves qui avaient participé à la rédaction de l’ouvrage biographique.
Suzanne Spiler, qui vit désormais à Nîmes, sera encore à Alès le 7 avril, à la médiathèque Alphonse Daudet, pour encore et encore témoigner…