Culture

Denis Lafaurie : « La culture est devenue une préoccupation majeure »

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À quelques mois de la retraite, le directeur du Cratère Théâtre, la scène nationale alésienne, jette sur l’actualité et les projets du théâtre un regard constructif et plein d’espoir, mais avec une certaine crainte : celle de voir le milieu culturel, si essentiel en réalité à la société, souffrir cruellement des restrictions actuelles.

Le 15 décembre, plusieurs théâtres parisiens ont décidé de saisir le Conseil d’État en référé-liberté afin d’obtenir la réouverture des salles, qui a finalement validé, le 23 décembre, la fermeture des cinémas et des théâtres au vu du « contexte sanitaire » décidée par le gouvernement jusqu’au 7 janvier au moins.
Bien que soutenu par les institutions, le monde du spectacle craint des dégâts irréparables sur la profession.

Réouverture de la billetterie le 11 janvier, un premier spectacle le 20 janvier

Le spectacle de danse, “Ils n’ont rien vu”, ouvrira le bal en début d’année dès que l’autorisation de réouverture aura été confirmée le 7 janvier par le président de la République.
« Si nous ouvrons, nous ne refermerons pas jusqu’en juin », assure Denis Lafaurie, nonobstant un confinement comme celui de mars 2020 où la vie s’est littéralement arrêtée. « L’ouverture se fera en situation dégradée : avec 60 % de la jauge et des spectacles annulés ou encore reportés. »

Au théâtre à partir du 20 janvier 2021

Le programme du Cratère reprend donc à partir 20 janvier avec des horaires adaptés en fonction du couvre-feu et des décisions gouvernementales. La billetterie rouvre le 11 janvier 2021. Focus sur trois spectacles.

Danse. Ils n’ont rien vu, le 20 janvier.

Neuf danseurs du Centre chorégraphique national de Tours, avec un spectacle inspiré par les images du film Hiroshima mon Amour d’Alain Resnais. Le chorégraphe Thomas Lebrun propose une série de tableaux d’une grande pureté, nourrie par la tradition des cérémonies millénaires du Japon. Des séquences où s’enchaînent mouvements de groupes ultra-rapides et ralentis étouffants, rappelant, à travers l’horreur du bombardement atomique, l’urgence de la mémoire.

Théâtre. Le Tartuffe, du 27 au 30 janvier.

La pièce de Molière fut interdite en 1664 sous la pression de l’Église. Elle sera jouée par la “Troupe éphémère”, un groupe de jeunes acteurs engagés pendant plusieurs mois afin de vivre l’aventure d’une véritable expérience de troupe de théâtre.

Danse. Room with a view, , le 4 février.

Entre rigueur et liberté, le Ballet national de Marseille propose une plongée dans les sons techno de Rone. Entre un monde en décrépitude qui s’effondre et qui renaît sous l’impressionnante énergie de la vingtaine de danseurs, le public ne peut rester indifférent aux images qui lui sont proposées et qui résonnent d’une brûlante actualité.

Et aussi :

Éric Légnini, le 22 janvier (Jazz). Fables à la Fontaine, les 28 et 29 janvier (Danse). Les Frères Jacquart, le 29 janvier (Musique). Ballet national de Marseille, les 4 et 5 février (Danse).

Et pourtant, le théâtre n’a jamais arrêté ses interventions : les résidences de compagnies se poursuivent, tout comme le travail au quotidien avec les lycées, les collèges et les écoles. L’équipe du Cratère travaille également à la préparation de la plus grosse édition de Cratère Surfaces dont la dimension internationale ne cesse de s’affirmer.

« Depuis le début de la pandémie, nous avons mis en place un protocole sanitaire extrêmement strict. C’est pourquoi nous regrettons qu’il n’y ait eu aucun dialogue entre le Gouvernement et nos maisons. Personne n’est venu voir comment ça se passait : il y a bien moins de risques dans un théâtre où les gens ne parlent pas et ne bougent pas que dans une grande surface ou dans certaines rues bondées des centres-villes », soutient le directeur du Cratère.

La désobéissance : la fausse bonne idée

Une incompréhension du monde de la culture qui s’est manifestée par certaines actions symboliques, comme à Albi où Martine Legrand, directrice de la Scène Nationale, a ouvert durant deux heures le théâtre le 17 décembre afin de protester contre la non-ouverture des lieux de spectacle. « Il faut résister. Il faut se battre, mais pas tout seul, soutient Denis Lafaurie. L’action symbolique est un coup d’épée dans l’eau, car elle ne se construit pas dans la durée. Désobéir aujourd’hui peut être dangereux et contre-productif ».
Lundi 21 décembre, le Conseil d’État, saisi le 17 décembre par les acteurs culturels, doit examiné neuf recours, dont ceux des représentants du théâtre et du cirque, qui estiment la mesure « éminemment inéquitable et disproportionnée ».

Résidence de la compagnie Libertivore en janvier

Du 4 au 16 janvier, Fanny Soriano, chorégraphe, sera en résidence pour sa nouvelle création, Éther : un cycle de spectacles dont les fondements sont les relations humaines.
Co-produit par la Verrerie et le Cratère, ce duo pour parachute et corde lisse sera présenté à la Biennale internationale des Arts du cirque de Marseille, du 29 janvier au 20 février 2021.
La chorégraphe poursuit un travail amorcé avec le spectacle Balagan et revient avec la corde à ses premiers agrès.

Ether

« Dans un paysage lunaire, deux planètes se font face, l’une semblant être le miroir de l’autre.
En plongeant deux individus dans ce huis clos, la relation devient un jeu aux multiples formes : physiques, émotionnelles et spatiales.
Tour à tour alliées ou ennemies, sœurs ou étrangères, mais traversant surtout toutes les nuances entre ces extrêmes, ces femmes se feront l’écho de nos peurs et de nos attirances envers l’autre.
Elles transformeront l’espace, ou l’espace les transformera, comme un reflet de leurs émotions, parfois dans la fusion, parfois dans l’incapacité à rentrer en relation. Un paradoxe fascinant auquel nous sommes tous en permanence confronté. »

Venant du cirque, l’approche du travail chorégraphique de Fanny Soriana en est très fortement imprégnée. © Gaël Delaite

15 M€ pour la rénovation du Cratère en 2023

En 2005, la scène nationale a connu une restauration avec la création de la salle d’à côté et le studio de danse pour 6 M€. Le projet de 2023 est largement plus ambitieux : les principaux partenaires du Cratère (État, Région, Alès Agglomération et Conseil départemental du Gard) ont acté pour un programme d’un montant de 15 M€. Un projet qui devrait renforcer l’équipe de sept à huit personnes.

Le grand hall va donc être fortement modifié dans sa configuration pour devenir une sorte d’agora. « La culture investit de nouveaux champs, avec toujours le même objectif, celui de permettre au public de s’émanciper. Les spectacles ouvrent l’esprit, proposent des réflexions et des discussions dans le champ social. Le théâtre est une place de débat. Le Cratère est un lieu de culture devenu essentiel à Alès. Il y a encore vingt ans, la culture n’était pas l’une des préoccupations majeures des Alésiens. Aujourd’hui, nous constatons qu’elle est ici, comme partout ailleurs, devenue une nourriture essentielle. » C’est pourquoi l’une des craintes du directeur, avec la crise sanitaire, est de voir s’effondrer ce qui a été si difficile à construire : ouvrir le théâtre, et la culture en général, à toutes les catégories de public, Cratère Surfaces aidant particulièrement à ce succès.

La plus grosse édition de Cratère Surfaces en préparation pour 2021

L’édition 2020 du festival des arts de la rue a été certes annulée, mais cela n’empêche pas l’équipe du théâtre de préparer l’une des plus grosses éditions de son histoire pour 2021.
« Cratère Surfaces prend une dimension internationale plus importante d’année en année. En 2021, nous accueillerons l’assemblée générale de Circostrada, le réseau européen des arts du cirque et de la rue », développe Denis Lafaurie. L’institut français sera également présent et fera un focus sur les arts de la rue. L’accueil, chaque année, de compagnies étrangères sur Alès Agglomération pendant le festival a transformé la ville en une plateforme incontournable pour le marché des spectacles où les diffuseurs et programmateurs viennent découvrir les perles artistiques de France et d’ailleurs.

« C’est un gain indéniable pour la région d’Alès », affirme le directeur du Cratère qui entend défendre l’idée que l’art et la culture ont des liens étroits avec d’autres domaines liés à l’économie comme le tourisme. « La notoriété d’une ville, et par là-même son attractivité, se construit autant autour de son environnement favorable d’un point de vue économique ou naturel, que d’un point de vue culturel. De ce côté, Alès et son agglomération n’ont rien à envier aux autres grandes villes d’Occitanie. »

Un nouveau directeur en octobre 2021

Autre événement, et pas des moindres, pour 2021 : l’arrivée d’une nouvelle tête à la direction de la scène nationale. Le départ à la retraite de Denis Lafaurie est programmé pour octobre 2021, ainsi que son départ d’Alès. « Je ne serai sans doute pas très loin, dans la région de Montpellier. Je n’imagine pas rester sur la ville, voir le théâtre, y venir, sans m’empêcher de porter un regard de dirigeant. »

Denis Lafaurie dirige le théâtre depuis vingt ans et connaît Alès depuis bien plus longtemps. « J’aime cette ville. Ici, avec l’équipe du théâtre, nous avons construit une partie de son histoire. Ça aura été une vie professionnelle très intéressante, très riche. L’une des plus belles réussites est d’être sortis des murs. Cratère Surfaces a beaucoup contribué a donné de la proximité aux gens avec le théâtre. »

À la tête du Cratère depuis vingt ans, Denis Lafaurie va céder sa place à un ou une nouveau(lle) directeur(rice) le 1er octobre 2021.